Rendez-vous annuel du Signe avec son jeune public, les écoles, les familles et tous ceux curieux de découvrir le graphisme sous un aspect ludique, cette exposition participative vous propose littéralement d’entrer dans les livres !
Le Signe ouvrira la 4e édition du parcours jeunesse, intitulé Les Petits Spécimens, avec les Éditions du Livre. Cette maison d’édition indépendante basée à Strasbourg publie des livres d’artistes pour enfants réalisés par des illustrateurs, artistes et designers graphiques.
Les ouvrages traitent de la relation comme forme établie entre un objet de consultation et son lecteur. Alexandre Chaize, fondateur des Éditions du livre et commissaire de l’exposition parle d’une «poétique de la manipulation de l’objet-livre dialoguant avec son contenu»; pour lui «La forme du livre, c’est le fond».
Le Signe propose à cette occasion un parcours dans l’univers de ces livres-objets devenus installations à taille humaine. Les visiteurs y découvriront une matriochka géante, des animaux, des légumes, des fruits et d’autres surprises tout en couleurs !
Interview d’Alexandre Chaize, commissaire d’exposition, par Jean-Michel Guéridan, directeur du Signe
Pourquoi avoir choisi pour nom les Éditions du livre ?
Avec ma compagne, Frédérique Rusch, nous publions des livres de dessins et commencions à être actifs dans le milieu du Fanzinat. Nous avons donc songé à créer une petite structure éditoriale. Un soir, au téléphone, on blaguait en imaginant des noms de maison d’édition en rapport avec la définition du livre (les éditions de la page, etc.), et finalement nous nous sommes arrêtés sur le nom les « Éditions du livre ». L’aspect tautologique nous est apparu pertinent, tel un serpent qui se mord la queue, un nom qui n’exprimerait rien d’autre que ce qu’il est et ses déploiements possibles.
L’histoire date de 2011, mais est devenu prophétie auto-réalisatrice dans la mesure où les Éditions du livre traite exclusivement de l’objet livre.
L’année, du moins le point de départ de toute aventure éditoriale est importante dans la mesure où elle marque le début d’une action.
L’année de création de la structure date de 2011, mais c’est véritablement en 2013 avec la publication de « Dans la Lune » (1) que j’ai défini la ligne éditoriale, à savoir, publier des livres d’artistes pour les enfants.
Un événement m’a amené à mieux articuler cette production. « Zoo in my hand » (2) que nous avions publié en 2011, dans une édition très limitée propre à l’univers du fanzine (100 exemplaires) avait été repris par une maison d’édition jeunesse plus importante. Cette dépossession, – de cet ouvrage que j’ai eu le plaisir de re-publier en 2018 -, m’a amené à développer la maison d’édition, à changer d’échelle.
Comment s’organisent vos choix éditoriaux et leur articulation technique? Si je pense au « Papillon imprimeur » de Fanette Mellier, nous sommes tout autant sur un rapport sollicitant la vue mais aussi le toucher de part la technique particulière de sérigraphie employée. La question du subtil vient en addition au sensible au regard des autres productions dites jeunesses. Il a aussi cette question de la narration par la couleur, la forme, la manipulation de l’objet livre. Vous écrivez même sur votre site, tel un étendard : « La forme, c’est le fond »
Au fur et mesure des années, j’arrive à prendre un peu de recul sur ma pratique d’éditeur. Ce qui me semble important de noter, mais qui sera peut-être démenti en 2020, est que je ne souhaite pas que mes livres soient le lieu de reproduction d’un original, mais un original multiplié par l’impression à 1500 exemplaires. Que le livre soit véritablement le support de l’œuvre qui ne pourrait exister sous d’autres formes. Ce qui rejoint d’ailleurs la définition du livre d’artiste.
Par rapport à la tautologie que j’évoquais, si la phase d’impression était retirée d’un livre tel que « Dans la lune » il ne resterait presque plus rien, si ce n’est un fichier de quelques méga-octets, alors que la magie de ce livre réside dans la superposition des couches d’encre colorées. De même, des publications comme « Zoo in my hand » ou « Hello Tomato » de part les manipulations qu’elles induisent sont intrinsèquement liées à l’objet livre.
Si lors de ces phénomènes de translation, ou de transposition d’un support à l’autre – analogique vers numérique -, on peut observer une perte de qui sera compensée par une qualité autre. Ici, ce qui marque, c’est le caractère idiomatique (4) de la production.
J’observe que de nombreuses productions éditoriales pourraient exister sous différents formats numériques sans que la transition n’affecte ni le propos, ni l’intention. Nos livres, leurs contenus, ne peuvent exister hors de la publication papier. Envisager toute translation vers le numérique nécessiterait de repenser complètement les ouvrages pour ce support.
« Le fond, c’est la forme » exprime que la forme est primordiale ; de part le papier, les encres, le soin apporté au façonnage, mais aussi la façon dont les artistes avec qui je travaille jouent et inventent à partir du pli ou de la découpe d’une page, la transparence du papier, le format du livre…
Dans vos livres, l’impression fait donc événement. Comment s’établit votre relation à vos imprimeurs?
La technique d’impression est définie par le tirage, où les choix expérimentaux. Je travaille avec Fanette Mellier pour le design de l’ensemble des ouvrages, afin qu’elle me mène à un résultat que je n’aurais pas envisagé seul. Je trouverais trop triste que l’ouvrage que j’édite ressemble point pour point, une fois imprimé, à ce que j’avais initialement en tête.
Il faut comprendre qu’en tant qu’éditeur, l’on vit et l’on soutient un livre pendant plusieurs années, et qu’il peut faire l’objet d’une réédition. J’ai donc besoin que l’objet imaginé s’éloigne un peu de moi afin de renouveler une forme d’émerveillement.
Par rapport à l’impression et le façonnage des ouvrages, nous poussons les curseurs au maximum, ce qui fait que notre relation avec les imprimeurs est tendue. La chaîne du livre est longue depuis la conception d’un ouvrage jusqu’à sa réalisation. Il s’agit d’un travail d’endurance. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour saluer le travail d’Art et caractère, l’imprimeur avec qui nous travaillons régulièrement, qui ose s’aventurer avec nous dans des projets souvent périlleux !
De cette relation que vous qualifiez de tendue, avez-vous eu des déconvenues, des surprises?
Les seuls regrets que nous avons rencontré sont liés aux impossibilités techniques. Nous avançons avec Fanette Mellier dans les phases de production avec 90% d’intentions et 10% d’intuitions qui seront vérifiables à l’impression. Ces 10% constitueront ce que je qualifie de surprise, d’émerveillement.
Comment s’effectuent vos choix éditoriaux?
J’essaie par le biais de l’édition de déployer un univers graphique utopique qui correspondrait à quelque chose que je porte en moi. Un univers de formes colorées, à la limite entre figuration et abstraction. J’édite des objets que je ne vois pas ailleurs, qui me sont propres, que d’autres ne publieraient pas forcément de cette façon.
Je m’aperçois, et cela à son importance, que d’autres éditeurs ne vont pas à cet endroit du livre jeunesse pour des raisons économiques et temporelles. Je suis sur une production qui est proche du mécénat et de l’expérimentation.
La particularité des Éditions du livre est d’être dans l’affirmation de choix éditoriaux singuliers, intemporels, et, d’être attentifs aux choix, souvent coûteux, de productions permis.
Il m’apparaît que vous constituez au fur et à mesure des publications une forme de nuancier des conditions du livre, là où d’autres sembleraient être moins attentifs à ce que l’on porte à l’attention de son lecteur. Ainsi votre public, il me semble, déborde d’un public jeunesse dans la mesure où vous produisez des formes qui dans leur discrétion touchent un public d’amoureux du livre.
Effectivement, si l’on se réfère aux standards actuels, nos livres sont des livres sophistiqués qui intéressent un public averti, tout comme ils touche aussi des enfants qui sans code et sans à priori sont intrigués et séduits par ces formes simples et colorées qu’ils peuvent regarder ou manipuler.
Comment dans le parcours proposé, envisagez-vous le passage d’ouvrages qui ont vocation à être lus et manipulés dans la sphère privé, à l’échelle d’une exposition ?
L’exposition au Signe mêlera les livres à taille réelle avec leur agrandissement à taille humaine. On pourra littéralement rentrer dans les livres. Le changement d’échelle ne modifiera pas les modes d’interactions des livres qui deviendront des dispositifs ludiques.
Je suis confiant en cette adaptation dans la mesure où je sais que j’arrive au Signe à Chaumont dans un lieu où la production de l’exposition sera soignée.
Qu’elles ont été vos influences?
Les Éditions du livre n’existeraient pas si je n’avais pas un jour découvert le travail de Bruno Munari. Il y a dans son travail une telle invention que l’on peut sans hésitation dire qu’il a défini dès les années 1950-1960 les codes du livre jeunesse contemporain. Dans mes influences, il y a aussi ce livre de Paul Cox – que je rêverais de rééditer – « Le livre le plus long » (5), publié à l’époque par cette formidable association que fut Les Trois Ourses (6). Ce livre est en tout point ce que j’aime : il raconte une histoire simple et intemporelle de manière ludique, expérimentale, radicale et colorée.
Si mes influences visuelles sont relativement vastes – de l’illustration à l’art contemporain -, la musique joue un rôle prépondérant dans ce qui constitue mes influences, les pièces pour pianos entre autres. Ainsi, je n’arrive pas à écouter d’autres pianistes que Glenn Gould. Cela est lié à son rapport à l’enregistrement. Sa façon d’arriver à saisir l’attention de l’auditeur, de maintenir une intensité et faire submerger une émotion musicale, presque abstraite, par le biais d’un support enregistré. C’est ce que je tends modestement à réaliser avec les Éditions du livre. Dans le travail sur la couleur, sur les formes, sur le rythme des pages il y aurait quelque chose de cet ordre-là. Pour l’édition de « Zoo in My hand » par exemple, j’ai fait en sorte qu’aucune double-page n’ait un vis-à-vis de couleurs identiques.
Pour moi, un livre c’est un moment figé, mais qui doit être vivant. Je citerai aussi Autechre (7) pour le rapport qu’ils ont à la composition, à l’abstraction, à la texture et à l’expérimentation.
Merci.
1. « Dans la lune » est un ouvrage conçu et réalisé par Fanette Mellier, designer graphique, membre de l’Alliance graphique internationale (AGI). Les pages donnent à voir au rythme de leur succession les phases de la lunaison de novembre 2013 et réédité en 2017. Réalisée en 8 tons, il se crée un paysage mouvant poétique ordonné par le cycle lunaire.
2. « Zoo in my Hand » de Inkyeong & Sunkyung Kim est un livre, une forme d’arche de Noé, à découper afin de libérer des pages des origamis animaliers.
3. « Hello Tomato » de Marion Caron et Camille Trimardeau est livre accordéon devenu jeu de plateau permettant avec des cartes à jouer perforées de constituer un véritable jardin de papier où se mêlent fruits et légumes imaginaires ou réels. Ces livres accordéons sont appelés Leporello. Le nom est emprunté au personnage de la pièce Dom Juan, qui dans le premier acte de la pièce déploie la liste des aventures de son maître à Donna Elvira.
4.On qualifie d’idiomatique un contenu qui indissociable de son seul support de lecture. Par exemple l’écoute d’un disque vinyle n’est permise que par la platine qui permet de le lire.
5. Hommage à Bruno Munari, « Le livre le plus long », paru aux éditions les 3 ourses, de Paul Cox suit le rythme d’un soleil de son levant au couchant. Les 4 pages que composent ce livre à spirale peut se déployer indéfiniment.
6. L’association Les Trois Ourses, créée en 1988, avait pour objet principal l’éducation artistique des enfants en mettant “le livre au centre”. Durant 3 décennies l’association s’est attachée par le livre d’artiste à permettre une entrée au monde de l’art. On compte parmi leurs auteurs publiés : Marion Bataille, Katsumi Komagata, Bruno Munari…
7. Autechre est un duo de musique électronique expérimentale, officiant sur le label Warp Records, dont les productions oscillent entre hip-hop, acid house et musique concrète. En 1994 ils publient le disque Anti-EP où figure le morceau Flutter. Manifeste contre le « Criminal Justice and Public Order Act 1994 » visant à interdire les raves-parties en rendant illégaux les morceaux répétitifs au Royaume-Uni, Flutter a pour particularité de ne contenir aucune mesure strictement identique. Appliquant un motif de répétitivité non-linéaire, Autechre tendra à systématiser ce principe composition.
Interview réalisée par Jean-Michel Géridan dans le cadre de l’exposition « Les Petits Spécimens 4 – Mon tout est un livre » au Signe, Centre National Du Graphisme, Chaumont.